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Plaidoirie de Me Letellier - 13 décembre 2017

 

Voici le texte de la plaidoirie de Me Letellier lors de la séance du 13 décembre 2017 devant la Cour Constitutionnelle.

Vous vous souviendrez, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs les Juges qu’à l’audience ayant précédé l’annulation de l’absence de disposition transitoires, Me Jacubowitz s’en était référé à Freud, qu’il avait qualifié de charlatan, la référence servait à appuyer la nécessité de réserver l’exercice de la psychothérapie aux médecins, psychologues cliniciens et orthopédagogues cliniciens.

Le dernier mot lui revenant, je n’ai pu lui répliquer / ce que je vais faire maintenant / que Freud était neurologue et que la loi attaquée ne l’aurait pas empêché de « sévir », selon la thèse du conseil des ministres.
A moins, bien sûr que vous n’évoquiez Anna Freud, sa fille, qui exerçait la psychanalyse avec un simple diplôme d’institutrice.

Ce petit clin d’œil me permet de nous projeter, à Vienne en 1925.
Cette année-là, un des principaux disciples de Freud, Théodor REIK fait l’objet d’un arrêté du Conseil d’Etat de la Santé de Vienne, lui interdisant de pratiquer la psychanalyse au motif que lui, à l’inverse de Freud, père, n’était pas médecin.

L’argument était, déjà à l’époque, que seuls les médecins devaient être autorisés à traiter les maladies nerveuses et psychiques, quel que soit le mode de traitement psychanalytique ou autre, étant donné qu’ils sont les seuls en mesure de diagnostiquer ce type de maladies.

Pour défendre REIK, Freud a fait valoir deux objections à l’interdiction faite aux non médecins de pratiquer :
1° la psychanalyse n’est pas une affaire purement médicale ni en tant que science ni en tant que technique
2° elle n’est pas enseignée aux étudiants en médecine à l’université.
Il écrit, concernant l’arrêté d’interdiction qui frappe REIK :
« Je vois dans l’arrêté de la municipalité un empiètement injustifié en faveur des intérêts du corps médical et au détriment des malades comme de la recherche scientifique »

Le débat qui a eu lieu à l’occasion du procès de REIK, renaît près de 100 ans plus tard devant Votre Cour. Il ne porte plus, cette fois sur la question de savoir s’il y a lieu de réserver la psychanalyse aux seuls médecins, mais plus généralement sur l’admissibilité, d’un point de vue constitutionnel, de l’approche exclusivement bio-médicale, et c’est dans ce caractère exclusif que se trouve le problème, de la psychothérapie ou, pour être plus précis, de toutes les psychothérapies puisque la loi attaquée, on l’a déjà plaidé, définit on ne peut plus largement son champ d’application.

Il y a plus d’un siècle, supplantant l’ancienne psychiatrie biologique, descriptive, basée sur les symptômes, mais pratiquement sans espoirs quant au changement, la psychanalyse ouvrit la porte à une thérapeutique active.
Les psychothérapies reconnues, et que la loi attaquée veut réserver aux médecins, psychologues cliniciens et orthopédagogues cliniciens, sont nées après la seconde guerre mondiale, à la faveur notamment d’une prise de conscience des limites de la notion de santé mentale en tant
que but à atteindre et d’un changement des paradigmes dans les sciences sociales et naturelles, y compris la physique post-einsteinienne, la cybernétique, la théorie de l’information, la linguistique et la théorie des systèmes.

Votre audience ne permet pas de refaire l’histoire des courants thérapeutiques, et je serais d’ailleurs bien incapable de le faire, mais l’objectivité veut, sans commettre aucun raccourci, que l’on reconnaisse l’apport essentiel de personnalités issues du champ des sciences sociales dans le développement des psychothérapies reconnues.
Par exemple, la thérapie systémique – « evidence based » – n’existerait pas sans le Mental Research Institute de PALO ALTO, qui s’est fondé sur les travaux de l’anthropologue BATESON. Cet institut, comme son nom ne l’indique pas, ne réunissait pas seulement des médecins et psychiatres, loin s’en faut. Ses principales figures étaient bien issues du champ des sciences sociales.

Certes, Don Jackson son fondateur, était psychiatre, mais les principaux intervenants de cet institut ne l’étaient pas :
- Virginia Satir, était enseignante de formation, thérapeute reconnue, elle initiera le premier programme de formation en thérapie familiale,
- Paul Watzlawick, était philosophe et linguiste,
- John Weakland, était anthropologue,
- Jay Haley, était titulaire d’un master en communication,
Je pourrais continuer, mais il serait vite ennuyeux de procéder à un
examen minutieux de qui peut se revendiquer la paternité de tel ou tel courant thérapeutique reconnu et que le législateur veut encadrer au travers d’une approche bio-médicale qui ne correspond pas à la réalité.
La référence à l’Histoire, rend raison a posteriori, à l’affirmation de FREUD selon laquelle l’exclusion des personnes issues du champ des sciences humaines se serait faite au détriment des clients – je ne parle délibérément pas des patients – et de la recherche scientifique.

C’est pour cette raison que pudiquement, un grand Monsieur qui s’appelle Siegi HIRSCH avait poussé la liste, comme on dit en langage électoral, des requérants qui ont donné un premier coup d’arrêt à la loi attaquée. C’est un des pères de la thérapie familiale en Europe, qui n’avait d’autre diplôme que celui d’assistant social obtenu à la sortie d’un camps de concentration. C’est l’émergence de nouveau Siegi Hirsch, Virginia Satir, Jay Haley que la loi attaquée entend empêcher.

C’est donc bien le procès de REIK qui se refait, 100 ans plus tard, devant Votre Cour. Faut-il réserver l’exercice de la psychothérapie aux seuls médecins, psychologues cliniciens et orthopédagogues cliniciens ?
A Vienne, en 1925, Theodore REIK ne pouvait invoquer l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui impose aux Etats parties de respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices, ni l’article 23 de la Constitution, qui garantit, notamment, le droit à l’épanouissement social et culturel.
Faisant fi de cette protection fondamentale pour le devenir de notre société, la loi attaquée nous garantit un appauvrissement certain de la pensée et de la science en nous privant, à l’avenir, de l’apport déterminant de la philosophie, de l’anthropologie, de la sociologie, notamment, dans la compréhension de ce qui fait l’humain et donc l’apport, à l’avenir, de ce qui a permis le développement des psychothérapies reconnues et validées.

Bien sûr, il peut être légitime pour le législateur de vouloir encadrer des pratiques qui peuvent profiter de la faiblesse du client, mais cela doit se faire :
- dans le respect des règles de répartitions des compétences : c’est le 1er moyen de la dernière requête enrôlée mais qui devra être examiné en premier.

Question : la loi attaquée ne réglemente-t-elle pas l’aide aux personnes, la définition de la psychothérapie qu’elle consacre n’est en effet qu’une pétition de principe justifiant artificiellement la compétence fédérale de réglementer l’art de guérir.

Je me réfère à cet égard à ce qui a été dit concernant la classification, par la Commission européenne, de la psychothérapie comme profession dans le champ des sciences sociales. J’attire toutefois votre attention sur le fait que la Commission classe la psychothérapie, comme profession autonome, dans le champ des professions des sciences sociales et non dans celui des professions de santé.

- sans porter atteinte, de manière disproportionnée :

  • à la liberté des personnes issues du champ des sciences humaines, d’exercer la psychothérapie et donc une activité professionnelle librement choisie, malgré qu’elles pourraient être dûment qualifiées ;
  • à la liberté d’établir des relations personnelles, que ce soit du point de vue du psychothérapeute ou de celui du client, et ce au mépris du libre arbitre et de l’autodétermination de tout individu de se faire aider ou assister face à des difficultés ou simplement pour améliorer les conditions de son existence, dans un cadre et avec une approche différente de l’approche bio-médicale des praticiens des soins de santé ;
  • à la liberté de participer et bénéficier du processus créatif dans le champ des sciences humaines, ce qui implique que le droit à la science et à la culture ne soit pas réduit au droit aux soins de santé, pour la science, et au cinéma, au théâtre et à l’une ou l’autre exposition, pour la culture.

C’est un arrêt majeur que vous aurez à rendre sur des questions cruciales pour l’avenir de notre société.

Le 1er moyen à examiner dans votre arrêt doit être le premier moyen de la dernière requête enrôlée.

Me Vincent Letellier


L’écho des autres plaidoiries est ici

Publié le 17/12/2017

Thème(s) : Actions juridiques