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Qu’est-ce que l’ancrage « evidence-based » et quelles sont ses implications ?

 

A travers l’arrimage de la psychothérapie au domaine des soins de santé et au registre de l’ « evidence-based medecine », la loi de Maggie De Block risque de conduire à une déshumanisation des soins. Sous couvert de rigueur scientifique, la psychothérapie pourrait en effet devenir un domaine dans lequel l’homme est assimilé à une machine, réduit à des régularités observables et théorisées.

L’assimilation de la psychothérapie au registre de l’« evidence-based » signifie que les connaissances sur lesquelles repose notre pratique doivent avoir fait l’objet d’une validation empirique et répondre aux impératifs de la recherche scientifique. On entend par « scientifique » toute démarche qui cherche à produire des connaissances sur base d’un dispositif rigoureux de confrontation de celles-ci à la réalité sur laquelle elles portent.

De quoi parle-t-on, exactement ?

Tout d’abord, une démarche scientifique passe par une recherche d’objectivation des phénomènes auxquels elle s’intéresse. Que l’on parle de « déprime », de « manque d’amour dans son couple » ou « d’épuisement au boulot », la question doit pouvoir être posée en termes précis, renvoyant à des choses visibles et observables, qui prêteront le moins possible à l’interprétation et aux variations intersubjectives. Pour ce faire, le recours à des catégories d’observation consensuelles, caractérisées par des critères et des indicateurs, s’impose [1].

A travers la démarche scientifique, il s’agit également de pouvoir généraliser des hypothèses à l’ensemble d’une même population d’individus. Cet enjeu de la généralisation conduit à privilégier naturellement une approche quantitative et statistique des choses, dans laquelle les réalités qui s’écartent des tendances habituelles sont qualifiées d’ « erreurs statistiques » ou de « valeurs aberrantes ». De plus, les intellectuels honnêtes le reconnaîtront, les impératifs de productivité dans le domaine de la recherche débouchent parfois sur une véritable moisson de données quantitatives et sur une recherche effrénée des seuils de signification statistique auxquels vont correspondre la validation de certaines hypothèses. Ce faisant, ce sont parfois les chiffres en eux-mêmes qui font progresser les connaissances, et non plus vraiment la démarche empirique et l’observation de la réalité.

Afin de produire des connaissances qui éclairent les modalités d’intervention psychologique, la démarche scientifique va par ailleurs procéder par expérimentation. Il s’agit, en effet, de pouvoir démontrer la validité d’un modèle explicatif du psychisme dans lequel on peut identifier des causes et des conséquences. Il s’agit ainsi de tester l’effet d’une variable (critérisée) sur une autre (qui l’est tout autant) afin de s’assurer que la première « cause » la seconde. Ce type de démarche implique d’avoir préalablement standardisé le dispositif expérimental. Lorsque la recherche porte sur une intervention thérapeutique, la démonstration expérimentale de son efficacité doit passer par une standardisation préalable de cette intervention, afin de s’assurer que les effets qu’elle produit ne sont pas dûs à d’autres variations du dispositif.

Enfin, la diffusion et la publication des travaux scientifiques qui produisent ces nouvelles connaissances passent par un dispositif de recension par les pairs. Cela favorise bien entendu un regard critique sur la pertinence et la rigueur de la recherche. Néanmoins, ce dispositif contribue au maintien d’une culture d’une certaine vision de la science, qui érige en valeurs premières les éléments présentés plus haut.

Le constat est clair : promouvoir, aujourd’hui, l’ancrage de la psychothérapie dans le seul registre de l’« evidence-based » contribue à l’émergence d’une vision mécaniste et causaliste de l’être humain, dans laquelle la personne est réduite à des régularités observables et théorisées. Le modèle de l’homme-machine qui a longtemps inspiré les ouvrages de science-fiction n’est pas loin… Et la tendance, dans le soin à la personne, à imposer la prévisibilité, le contrôle et l’efficacité du monde économique en lieu et place de la créativité, la responsabilité, ou la liberté de l’être humain est de plus en plus… évidente !

Ce n’est pas ainsi que nous entendons exercer notre métier et n’est pas conforme à la vision de la psychothérapie que nous entendons promouvoir.

Publié le 22/11/2016


[1A titre d’exemple, on pourra lire dans le DSM-5 que la « dépression majeure » sera caractérisée, dans les grandes lignes, par « un ou des épisodes distincts d’au moins 2 semaines qui se démarquent du fonctionnement habituel (sic) de la personnel et pour le(s)quel(s) au moins 5 des symptômes suivants ont été présents : 1) humeur dépressive , 2) diminution de l’intérêt ou du plaisir pour toutes les activités, 3) perte ou gain de poids significatifs,4) insomnie ou hypersomnie, 5) agitation ou ralentissement psychomoteur, 6) fatigue ou perte d’énergie, 7) sentiment de dévalorisation ou de culpabilité, 8) diminution de l’aptitude à penser, 9) pensées de mort récurrentes ou idées suicidaires. Par ailleurs, les symptômes entraînent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social ». Check !