Accueil > Questions fréquentes > INAMI – KCE : sympas, ces acronymes ?
L’INAMI et le KCE sont des instances administratives chargées de la conception et de la mise en œuvre des politiques de santé. Leurs mots d’ordre sont sans grande ambigüité : efficacité (qualité et accessibilité) et efficience (budget).
Après la loi de 2014 relative à la psychothérapie, le KCE a été chargé d’établir un rapport sur les modalités d’accès aux soins de santé mentale. Résultat ? Une psychothérapie réservée aux psychologues, inscrite dans le champ de la santé publique et assimilée à un acte de traitement spécialisé.
Cela vous fait penser à quelque chose ??
Jamais psychothérapeute n’avait autant entendu parler de l’INAMI et du KCE que depuis que Maggie De Block a fait adopter sa vision des soins de santé mentale, le 10 juillet 2016. Et pour cause, ces deux instances sont à l’origine des principaux repères de l’horizon politique de la psychothérapie.
L’INAMI – Institut national d’assurance maladie-invalidité (tiens, on ne dit pas encore « fédéral » ?) est une institution publique de sécurité sociale instituée dans le cadre du régime d’assurance obligatoire de santé et indemnités (loi coordonnée du 14 juillet 1994). Principalement, l’INAMI organise, gère et contrôle administrativement l’assurance obligatoire qui intervient pour les prestations de santé ainsi que l’octroi des indemnités d’incapacité de travail et d’assurance maternité/paternité.
Ses missions portent entre autres sur :
De façon transversale, l’INAMI a une fonction d’élaboration, de gestion et de contrôle du budget octroyé par le gouvernement aux soins de santé et aux indemnités. On voit en quoi l’efficacité de nos politiques de santé dépendant aussi de l’efficacité de notre ministre des finances…
L’INAMI dispose également d’un Conseil scientifique, « chargé d’examiner tout aspect scientifique en relation avec l’assurance soins de santé et la qualité de la dispensation des soins. Il fait toute suggestion susceptible de mettre le progrès scientifique à la portée des bénéficiaires de l’assurance soins de santé, dans les conditions les meilleures d’efficacité, d’économie et de qualité. »
Serait-ce donc l’INAMI qui organise seul le cadre d’intervention de l’assurance obligatoire dans le remboursement de la psychothérapie dont on parle tant ?
Non ! Depuis 2002, l’INAMI est éclairé dans ses travaux d’élaboration des modalités de remboursement des prestations de santé par un autre organe : le KCE – Kenniscentrum/Centre d’Expertise. Le KCE, financé par l’INAMI, est un organe chargé de rédiger des rapports qui permettront au gouvernement de justifier ses décisions en matière de politique de santé.
Le 14 avril 2016, cet organe a produit un rapport de 114 pages intitulé « Modèle d’organisation et de financement des soins psychologiques ». Il fait suite à une étude commanditée par l’INAMI, le SPF Santé publique et la VVKP (association flamande de psychologues cliniciens affiliée à… la Fédération belge des psychologues - voir https://www.bfp-fbp.be/fr/nieuwsbericht/la-fbp-suit-de-pres-la-recherche-du-kce-au-sujet-du-remboursement-des-interventions-de).
Dans ce rapport, les auteurs établissent l’importance des besoins en matière de santé mentale et l’insuffisance de l’offre, qu’ils expliquent par la complexité du secteur de la santé mentale, son manque de connaissance par le grand public et, par-dessus tout, l’absence de prise en charge par l’assurance maladie. Ils suggèrent ensuite l’établissement d’un modèle à deux étages, largement inspiré par des projets pilotes menés en Flandre : un premier niveau généraliste, accessible et susceptible d’accueillir sans restriction ni critères de diagnostic les problèmes psychiques courants et modérés, et un second niveau, d’accès plus restreint, permettant de délivrer des soins spécialisés à ceux pour qui le premier niveau n’est pas suffisant.
La prise en charge de 1er niveau serait limitée à 5 séances et consisterait à évaluer le problème et donner le « petit coup de pouce » professionnel qui devrait suffire dans la majorité des cas à retrouver en soi les ressources nécessaires pour tenir tête aux aléas de la vie. Selon le projet pilote flamand, 88% des personnes qui y ont eu recours ont été aidées en moins de 5 séances. Ces psychologues de 1ère ligne pourraient exercer un peu partout, que ce soit en cabinet médical, en centre PMS, en centre de planning familial, etc.
La prise en charge de deuxième ligne s’adresserait aux personnes pour lesquelles 5 séances ne suffiraient pas. Elles auraient alors accès à des soins plus spécialisés (dont les psychothérapies), sur prescription, le besoin de soins spécialisés étant conjointement attesté par un médecin généraliste et un psychologue de 1ère ligne. Le nombre de séances remboursées serait limité, déterminé en fonction de critères evidence-based d’efficacité et renouvelable à certaine conditions. Ce type de soins spécialisés seraient dispensés dans les services de santé mentale et assurés par des psychologues conventionnés avec l’INAMI, relevant donc de la loi sur les professions des soins de santé sensée garantir la qualité des soins et la protection des patients.
Premièrement, force est de constater que la machinerie chargée de mettre en œuvre les politiques de santé mentale en Belgique est profondément surdéterminé par le contexte macro-économique et budgétaire dans lequel nous évoluons actuellement.
Ensuite, on ne peut que s’interroger sur la temporalité des travaux du KCE et celle de la réforme de Maggie De Block. En effet, l’INAMI (et a fortiori le KCE), en tant qu’entité administratives, sont supposées mettre en oeuvre la loi et non la détricoter. Or, dans le cas qui nous occupe, nous sommes frappés par la convergence idéologique qui existe entre le rapport du KCE du 14 avril 2016 et la loi que Maggie De Block a fait adopter par le parlement 3 mois plus tard (soit le 10 juillet 2016). En effet, alors que le cadre législatif – la loi Muylle du 4 avril 2014 – qui a motivé la demande au KCE prévoyait explicitement la reconnaissance des psychothérapeutes et des différents courants, le rapport d’expertise ne mentionne en aucun cas ces courants et fait la part belle aux seuls traitements evidence-based (voir http://www.alter-psy.org/Qu-est-ce-que-l-ancrage-evidence-based-et-quelles-sont-ses-implications.html).
Enfin, fondamentalement, la loi relative à la santé mentale, qui semble pourtant justifiée par la lutte contre le charlatanisme et la recherche de qualité des soins, n’offre aucune perspective qui tienne véritablement compte de la subjectivité et de l’intériorité d’un humain qui souffre.
Chacun(e) d’entre nous est réduit à une donnée à faire entrer dans un algorithme budgétaire, à un flux dont il s’agit d’identifier le passage dans un trajet de soins prédéfini, à l’input d’une grosse machine faite de chiffres et d’indicateurs désaffectés…
Ce ne sont pas les soins de santé mentale que nous voulons.
Publié le 05/12/2016