Accueil > Alter-Psy > Alter-Psy – de l’autre côté du miroir
En 2014, les professionnels de la psychothérapie, après 15 années de concertation et de négociation politique intensives, ont abouti à un texte encadrant l’exercice de la psychothérapie et balisant les conditions du port du titre de psychothérapeute.
Ce texte, intitulé « Loi réglementant les professions des soins de santé mentale et modifiant l’arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice des professions des soins de santé », visait précisément à inclure la psychothérapie dans le champ de la santé mentale, quoi que faisant l’objet d’un chapitre spécifique non intégré à l’arrêté royal de 1978 relatif à l’exercice des professions des soins de santé.
Texte distribué lors de la rencontre du collectif Alter-Psy du 7 juillet 2016
Ce faisant, la loi du 4 avril 2014 a préparé le terrain de ce qui se passe aujourd’hui : un largage de la psychothérapie, désormais rayée de la carte en tant que métier reconnu par l’autorité publique, et une mise hors la loi de quiconque pratiquerait la psychothérapie sans y avoir été habilité par un titre universitaire et la formation complémentaire requise. Comme Alice, les psychothérapeutes se sont aventurés dans un monde – celui de la santé – et se sont retrouvés face à une Reine de cœur dont la folie explique la sentence de ce 30 juin 2016 : « Qu’on leur coupe la tête ! » Nous nous retrouvons donc face à un miroir, sans tête... Notre capacité de penser – intimement corporelle, comme chacun sait – en est bien sûr affectée.
Et pourtant, bientôt, nous nous relevons et nous constatons que ce miroir n’est pas à l’image de ce que nous sommes profondément, de ce que nous connaissons de nous-mêmes. Bientôt, nous approchons du reflet morcelé et contournons la glace pour nous rendre à l’évidence : de l’autre côté du miroir, rien n’a changé !
Cela dit, il n’y a plus de reflet, plus d’image renvoyée. Il n’y a plus que notre conscience pour penser et nos corps pour éprouver ce qui se passe.
Le vote du 30 juin 2016 portant modification de la Loi du 4 avril 2014 relative à la santé mentale est passé. Il s’est abattu sur la tête des centaines de professionnels qui, alertés par l’imminence de la sentence, se sont regroupés – notamment – sous une bannière commune : celle du collectif Ater-Psy.
Le collectif s’est créé en mai 2016, au moment où le texte de la ministre de la santé a été déposé au Parlement et, par conséquent, rendu public.
En quelques jours, l’énergie des membres du collectif et la créativité de plusieurs de ses sympathisants ont propulsé Alter-Psy dans le champ médiatique. Nous avons pu y faire passer, comme d’autres, un message d’opposition constructif, serein mais extrêmement ferme : la psychothérapie est un métier – et pas seulement une technique de soins « evidence-based » spécialisée – et toutes celles et ceux qui s’y sont formées l’exercent avec la plus grande probité. Rien n’y a fait : le texte a été voté, majorité contre opposition. L’ampleur du ravage est maintenant dans les mains du gouvernement, chargé d’exécuter les modalités d’application de ce déluge.
Depuis lors, nombre de professionnels ne cessent de rejoindre le groupe Alter-Psy, à l’image d’un embarquement dans une Arche de Noé susceptible d’offrir un salut à la diversité de nos pratiques et un avenir à nos convictions personnelles et professionnelles...
Au-delà de la survie psychique de chacun d’entre nous et de la réponse à l’instinct de grégarité qui a pu nous saisir dans ce contexte de menace, le collectif Alter-Psy se veut être autre chose qu’une vague temporaire d’opposition à Maggie De Block ou un espace de partage social des émotions fortes du moment. A l’instar de l’Arche de Noé, qui a permis de repeupler la terre après le déluge, le collectif Alter-Psy est une formidable occasion de voir reverdir, à partir de nos questionnements existentiels, le champ de la psychothérapie à partir de ce que le déluge n’a pas pu englouti.
La mutation implacable de la société actuelle vers la mondialisation et les crises profondes qu’elle engendre provoque des angoisses légitimes et complexes qui poussent certains à revendiquer le resserrement, le cloisonnement et la simplification. Pour se rassurer. Provisoirement.
Le succès d’une consommation uniformisée, standardisée, répond à ces angoisses. La tentation d’une pensée mondiale guette nos décideurs au nom d’une économie planétaire efficace. Quitte à y laisser la liberté. Quitte à accepter de renoncer à grandir.
La perte de repères que nous connaissons depuis le vote de cette loi nous pousse à réclamer d’urgence un cadre clair, de précisions sur la façon dont nous allons être traités. Cependant, les choses ne marchent pas de façon aussi simple, car il faut deux jambes pour marcher : celle de la confiance minimale qui nous permet d’avoir envie de grandir, et celle du courage par lequel nous nous donnons les moyens de vivre la vie que nous choisissons.
Nous souhaitons qu’Alter-Psy soit autre chose qu’un refuge temporaire au sein duquel se tenir au chaud pendant la tempête ou un simple outil de diffusion d’information sur l’actualité politique à venir de la réglementation en matière de santé mentale. Notre manifeste fondateur nous ancre dans une approche profondément humaniste de la relation d’aide, au-delà du champ restrictif de la santé mais dans celui des sciences humaines et sociales. C’est là que nous invitons nos membres à énoncer leur identité professionnelle, dans un espace d’autonomie proclamée en vertu du fait que l’Homme est libre est n’appartient à aucune pensée ni à aucun pouvoir. Cette perspective, au-delà de la promotion du métier de psychothérapeute – ou de thérapeute de la relation – que nous entendons assurer, est aussi profondément citoyenne dans la mesure où elle soutient une vision de l’Homme que nous croyons porteuse et juste au plan éthique et politique.
Au vu de ce qui précède, le point 8 du manifeste fondateur de notre collectif – « Dans cet esprit, Alter psy s’oppose à la loi de Maggie de Block, qui créerait une hiérarchie discriminatoire entre d’une part, les docteurs en médecine, orthopédagogues et psychologues cliniciens, et d’autre part, tous les professionnels des sciences humaines et sociales, qui exercent actuellement le métier de psychothérapeute. Cela crée un précédent, contraire à la législation en vigueur dans la majorité des pays européens. » - est appelé à révision. Car, même si les recours juridiques contre la loi votée le 30 juin dernier devaient aboutir, il est clair pour nous que l’esprit par lequel nous nous sentirons portés à exercer notre métier, lui, tiendra compte du positionnement créatif auquel la naissance d’Alter-Psy nous a convoqués.
Alter-Psy est un collectif. Il entend donc être un espace de réflexion et de co-construction porté et alimenté par ceux qui souhaitent librement s’y engager, caractérisé par un fonctionnement « entre pairs » et par la diversité des courants dans lesquels s’inscrivent chacun de ses membres.
Alter-Psy est un collectif citoyen. Au-delà des préoccupations théorico-cliniques ou institutionnelles qui ont amplement émaillé les débats relatifs à la loi de Maggie De Block, plusieurs membres d’Alter- Psy partagent le constat que ce qui est en jeu, c’est profondément l’identité de la psychothérapie et, partant, la vision de l’homme et de la société à laquelle nous aspirons. Par conséquent, Alter-Psy entend porter un discours résolument citoyen, critique et autonome, au-delà du seul champ de la santé mentale. Ce discours et ce positionnement se reflètent dans le manifeste du 12 juin 2016.
Alter-Psy est un collectif en mouvement. Jusqu’ici, plusieurs actions ont été initiées, avec un degré de mobilisation non négligeable au départ des réseaux sociaux. Ce mouvement de contestation doit se poursuivre concrètement, en tirant parti de l’opportunité que représente Alter-Psy, au départ de ce qui fonde son identité, d’entreprendre des actions concrètes. Les prochaines semaines seront consacrées à l’examen de possibilités de recours constitutionnels, à l’élaboration des conditions d’une autre liberté d’exercice de notre métier, à la sensibilisation de l’opinion à la plus-value de la dimension fondamentalement relationnelle de notre travail.
L’action d’Alter-Psy est complémentaire à celle d’autres acteurs institués que sont la Plateforme des professionnels de la santé mentale, les unions professionnelles de psychologues (UPPsy, APPPsy), les associations de psychanalyse, les écoles et instituts de formation, etc. Cette complémentarité est aujourd’hui essentielle à ce qui constituera probablement l’agenda des prochaines semaines et prochains mois. Elle devra passer par un renforcement de la coordination entre nous tous et par notre engagement à faire preuve de solidarité à l’égard les uns des autres.
Alter-Psy Le 7 juillet 2016 www.alter-psy.org
Publié le 07/07/2016